(Wally) Objet non identifié en approche.

Ma nouvelle situation n’est pas très enviable. J’essaie de relativiser, de me dire que cela pourrait être pire : j’aurais pu mourir à Los Angeles, mais cette nouvelle condition est difficile à gérer. Et bien sûr, il a fallu que ça arrive au moment où j’envisageais de déménager. L’offre était vraiment tentante, je ne pouvais pas refuser. Comment l’aurais-je justifié ? Une chance pareille, ça ne se refuse pas. Alors oui, malgré ma nouvelle cécité – que j’espère temporaire – j’ai préparé mes cartons et j’ai quitté ma ville natale pour m’installer dans cette immense jungle urbaine New Yorkaise. Et même si pour le moment j’ai bien assez à faire avec la nouvelle ville dans laquelle je suis, je ne peux que m’enthousiasmer de la situation géographique qu’elle a. L’avantage de New York c’est que ce n’est pas très loin de tout. Pas très loin de Philadelphie, à peine une heure et demi de train pour retourner voir mes parents. Un tout petit plus de Washington, Metropolis et Gotham, mais cela reste envisageable sur un week-end. Alors forcément, cela laisse pas mal à de choses à faire, ou à voir. Je devrais probablement rester tranquillement chez moi sans bouger, mais cela inquièterait mes parents qui connaissent un peu trop mon caractère curieuse et mes explorations diverses lorsque j’arrive dans une nouvelle ville. Et puis, quand je suis seule chez moi, je ne peux emprunter les yeux de personne, alors je suis réellement aveugle. Heureusement, mes parents m’ont aidée à m’installer dans mon nouvel appartement, de sorte que j’ai eu le temps de l’observer à travers leurs yeux attentivement pour tâcher de me souvenir de toute l’organisation de mon nouveau logement. Cela reste tout de même difficile pour moi de réussir à m’organiser sans aucun backup visuel.

Alors je bouge beaucoup. Le soir, je prends toujours mon temps pour rentrer et le week-end, j’attrape le premier train que je trouve pour aller explorer les environs. Il me reste encore de nombreuses choses à découvrir à New York, malgré cela, je sors parfois de la ville. Comme aujourd’hui. Ce samedi plutôt ensoleillé pour cette période de l’année m’a menée à Metropolis. La ville de Superman, l’alien qui a changé la face de notre monde. J’ai passé quelques heures à me promener en ville, passant d’esprits en esprits pour observer les lieux et m’y orienter, marchant plutôt lentement, passant pour ce que je suis : une touriste badinant dans les rues de la ville. Mes pas m’ont conduite jusqu’au Heroes Park. Le lieu incontournable dans cette ville, même si depuis les récents coups d’éclats de Batman, les super héros ne sont plus forcément très populaires. Il n’empêche que ce type vient d’une autre planète et qu’il a sauvé notre monde avec ses amis plusieurs fois. Alors bien sûr, quand j’arrive à la statue, je m’arrête pour la contempler, au travers des yeux des passants autour. La plupart sont négatifs. Je n’ai pas besoin d’entendre leurs voix pour les comprendre : la plupart des gens n’apprécient pas ce qu’ils voient. S’ils pouvaient la faire tomber… Je dois être tombée pile poil au moment de la sortie de tous les détracteurs des héros. Cela n’entache pour autant pas ma joie ni l’air plutôt fasciné et admiratif sur mon visage. Bien sûr, cela doit se voir et un groupe d’adolescent reprend son chemin, l’un d’entre eux en profitant pour me bousculer d’un coup d’épaule. Je grimace momentanément privé des images que je volais dans l’esprit des autres avant de réussir à raccrocher l’esprit de quelqu’un pour voir à nouveau. Je passe d’un esprit à l’autre pour repérer le groupe qui s’éloigne en riant et grimace un peu en me frottant l’épaule. Il n’y est pas allé de main morte. Finalement je me tourne pour partir et avance un peu, d’un pas assez vif, sans voir arriver le garçon qui est pourtant juste en face de moi. Je le percute et manque de tomber, me raccrochant à lui. Les gens autour de nous nous regardent, donc j’arrive à distinguer son image, notre image. Je me rends compte que je suis carrément agripée à son tee-shirt, alors je le lâche, rougis violemment, recule de quelques pas et bafouille en relevant les yeux vers son visage : « Oh pardon, je suis désolée, je ne regardais pas où j’allais… ».

A travers les yeux des gens qui sont autour je peux détailler celui que j'ai percuté. Plus grand que moi - ce qui n'est pas difficile - des cheveux aux reflets roux, une carrure plutôt imposante mais pas trop non plus. Et je ne les vois pas bien, mais ses yeux ont l'air plutôt fascinant. Sa voix elle, est expressive quand il reprend la parole. Je l'écoute avec un léger sourire, rassurée à l'idée qu'il ne soit pas en colère contre moi. Je le vois s'accroupir pour ramasser un papier, puis se redresser. Il me demande si je suis du coin en s'approchant d'elle pour me montrer son plan. Sauf qu'il relève la tête. Ainsi, ce que lui voit ne peut pas m'aider. C'est le noir complet du point du vue du plan. Je ne peux pas me servir de ce qu'il voit et je me refuse à entrer dans sa tête. Pourtant, je pourrais largement entrer dans son esprit et me servir de ses souvenirs pour visualiser le plan. Mais je m'y refuse. Il n'a pas l'air méchant. Alors je me contente de lui dire : « En fait... Je ne suis pas du coin... Alors franchement... » je ris un peu pour dire : « Je ne peux pas vous aider. En plus, je suis plutôt nulle pour lire un plan ». Je souris un peu penaude en redressant un peu le visage.

De toute façon, je ne vois pas le plan, pourquoi continuer à fixer un bout de papier que je ne peux même pas entrevoir. Je ne suis même pas sûre qu'il était bien là où je regardais. Je préfère regarder le parc. Je m'infiltre une fraction de seconde dans son esprit tâchant de ne pas écouter ses pensées pour voir ce qu'il voit. Il a l'air plutôt perdu effectivement, mais semble prêt à affronter la ville qu'il ne connait pas très bien. Je quitte son esprit et infiltre un autre esprit pour ne pas rester dans le noir puis je lui dis : « Je fais du tourisme aussi... Sans réel objectif ». Je vais et je viens dans les rues de la ville pour découvrir ce qu'il y a à voir ici à Metropolis. Mais je n'ai pas d'objectif, j'ai juste envie de marcher, et de découvrir la ville. De la voir. Même si je sais que je ne le peux pas. Je demande : « Est-ce que tu as déjà vue l'avenue de Demain ? On dit que c'est la première rue à avoir été éclairée à la lumière électrique. Elle est plutôt belle pour une rue marquée par l'histoire ». Je souris à nouveau. Peut-être qu'on pourrait visiter la ville ensemble. Ne pas rester seule m'empêchera peut-être de ne pas culpabiliser d'entrer dans les esprits pour ne pas rester dans le noir. D'ailleurs je propose : « On peut peut-être faire un bout de route ensemble et essayer de trouver le chemin ? ». Je souris et dit : « Je m'appelle Lilith ».

Même dans un état plus que limité en terme de sensorialité, c'est plus facile pour moi de parler aux gens que pour n'importe qui d'autre dans ma situation. Mais ça reste difficile. Au moins, je ne suis pas dans le noir. Et la présence des autres est apaisante, même s'ils ne me parlent pas. Leurs simples allées et venues autour de moi me permettent d'exister d'une certaine façon. Même si ce n'est pas très sympa de le faire comme ça. Si j'avais une autre solution... je le ferais, mais je ne peux pas réellement expliquer ce qu'il m'est arrivé. Entre le fait que je ne comprends pas réellement ce qui s'est passé et le faire que cela reviendrait à avouer à certaines personnes de mon entourage mes pouvoirs... Je préfère ne pas le faire, surtout vu le contexte actuel et les propagandes anti-héros. Les êtres comme moi n'ont pas réellement la côte en ce moment. Alors je fais profil bas. Je garde le visage relevé en faisant mine d'observer le parc que j'observe réellement à travers les yeux d'une petite fille qui joue avec son père et leur chien. Elle regarde l'animal qui coure après une balle et moi, je vois le parc qui s'étale devant elle. C'est plutôt paisible comme endroit. S'il l'on oublie l'état de la statue et le climat empli d'animosité. Mais le garçon qui se trouve à présent près de moi n'a pas l'air méchant, bien au contraire. Juste un peu perdu. Alors c'est un plaisir de lui parler. Et puis j'ai toujours aimé rencontrer de nouvelles personnes. Je crois que dans le fond, c'est ce qui m'a le plus plu pendant mon road trip de deux ans. Faire de nouvelles expériences et de nouvelles rencontres. Il me répond qu'il n'a pas vu l'Avenue de Demain puisqu'il est arrivé il y a quelques heures seulement et il me demande si je sais où elle se trouve. Alors je lui réponds : « A quelques rues d'ici il me semble ». J'ai un peu marché sans but, jusqu'à aller ici et là au grès des passants que j'ai trouvé.

Je lui propose de visiter ensemble, ce qui me permettrait d'avoir un point d'appui stable en terme de vision, même si j'avoue être un peu ennuyée à l'idée d'entrer dans sa tête de façon régulière. Il me parle ensuite du daily planet. Il regarde toujours le parc et c'est assez frustrant de ne pas savoir exactement ce qu'il fait. Mais de l'esprit d'un homme non loin, je crois le voir pointer quelque chose sur le plan alors je baisse les yeux l'espace d'un instant pour faire semblant. Il propose d'y aller. Je relève les yeux dans la direction dans laquelle je crois que le daily planet se trouve et je réponds : « Pourquoi pas oui ! Et puis, la célèbre planète bleue qui surmonte l'immeuble est superbe apparemment ». Bon, peut-être que je m'emballe pour peu de choses : c'est simplement une grosse boule de métal, mais soit. Il commence à faire quelques pas et je me mets à ses côtés, marchant à son rythme essayant de marcher droit et espérant ne pas me prendre les pieds dans quelque chose que je ne verrais pas à travers les yeux des autres. Je me présente et il me répond. Wally. Je lui souris simplement en guise de réponse. Il me pose une nouvelle question et je souris de plus belle. Je lui réponds : « Assez souvent oui. J'aime bien découvrir le pays dans lequel je vis ». Je reste songeuse et je dis : « J'avais déjà pas mal visité la côte est il y a quelques années, mais je profite de mon arrivée à New York pour visiter les villes avoisinnantes ». Peut-être que j'ai dit un peu trop de choses, mais bon, on verra. Peu importe, New York est une ville vraiment grande, comment pourrait-il me retrouver ? Et je dis : « Le plus dur quand on est seule, c'est d'avoir un sens de l'orientation défaillant... Un peu comme moi... ». Je ris un peu. Je me perds souvent, mais finalement ça me permet de découvrir des choses auxquelles je ne m'attendais pas. Je lui demande : « Et toi, tu fais souvent du tourisme ? ». Je regarde devant moi, visualisant la rue dans les yeux des passants pour être sûre de l’endroit où nous allons. Mais le fait de le sentir à côté de moi est rassurant d’une certaine façon. Son aura est apaisante.

Il n’y a probablement que moi pour avoir autant de chance et de malchance en même temps. Être abordée par un touriste cherchant sa route alors que je fais moi-même du tourisme c’est plutôt pas banal et semble relever d’une certaine malchance quand même ; enfin surtout pour lui. Qu’il soit plutôt sympa et accepte de visiter un peu avec moi relève plutôt de la chance je trouve. En plus, plus je me sers des yeux des autres pour le détailler, ayant ainsi l’opportunité d’avoir une vue d’ensemble assez facilement, plus je le trouve agréable à regarder – un comble pour une fille aveugle – ce qui ne fait qu’augmenter le côté agréable des choses. Qu’il cherche à me montrer des choses par contre relève plus de la malchance. Et devoir lui mentir et faire semblant n’a rien de très agréable. D’autant plus que je n’ai pas tellement envie d’entrer dans son esprit : il a l’air beaucoup trop gentil pour que j’outrepasse son intimité. C’est beaucoup plus facile lorsque j’utilise les yeux des inconnus noyés dans la foule : les quelques brides de pensées que j’entends n’ont aucun sens pour moi, et comme je ne reverrais jamais ces gens, cela ne semble pas si important. Mais je m’astreins à ne jamais rester très longtemps dans l’esprit des gens pour ne pas violer plus que de raison leur intimité, ce qui me fatigue énormément et me cause souvent des migraines : trop de pensées, trop de visites, trop d’informations pour mon propre esprit.

Lorsqu'il me demande si je fais souvent du tourisme, je lui réponds avant de lui retourner la question. Après tout, on ne sait jamais, on a peut-être une passion en commun. Il me répond et je souris un peu avant de dire : « Si les journées pouvaient être plus longues... » Je bascule un peu la tête en arrière avec un râle de frustration avant de la redresser en riant un peu et d'ajouter : « J'imagine que c'est pour ça qu'on a créé les vacances ». Mais bon, ce n'est pas comme si nous en avions énormément. Pas assez pour pouvoir réellement en profiter, trop pour ceux qui sont accrocs au boulot. Nous continuons à avancer tout en parlant de tout et de rien. La conversation semblant plutôt facile pour lui autant que pour moi. Cette façon de parler et de passer le temps donne une nouvelle dimension à cette journée. Et pendant qu'on avance, je continue à sonder les yeux des autres pour voir la rue, tournant parfois la tête pour observer les façades ou les lui montrer en pointant du doigt, devenue très douée à ce petit jeu d'actrice. Finalement, au bout d'une vingtaine de minutes, il me signale qu'il a faim et me propose de nous arrêter pour manger un peu. Je réponds en relevant le visage vers lui : « Pourquoi pas oui ! Qu'est-ce qu'une journée de tourisme sans la découverte de la gastronomie locale ? » je complète ma phrase par un sourire et un clin d'oeil amusé. J'aurais pu continuer à marcher et à apprécier les lieux sans manger, mais une pause ne me fera pas forcément de mal. Une fois installée avec mon repas, je n'aurais plus forcément besoin d'utiliser ma télépathie pour voir. Je pourrais faire une pause mentale et me contenter d'utiliser mes autres sens pour réussir à manger tout en continuant à parler avec lui.

Nous entrons ainsi dans une sandwicherie. La petite boule d'angoisse qui était née en moi à l'idée de devoir manger dans un restaurant de la nourriture normale que j'aurais eu du mal à ingérer disparaît. Les sandwiches je maîtrise ! Je profite du fait que Wally regarde la carte pour en faire de même et lorsqu'il me demande si je veux quelque chose, je souris et commande à mon tour : « Un 'super bagel' s'il vous plaît et une bouteille d'eau aussi ». Je bascule mon petit sac à dos sur le côté pour ouvrir la fermeture et sortir mon propre porte-monnaie. Hors de question qu'il paie mon repas, je ne pourrais probablement pas lui retourner la pareille alors. Mais il est trop rapide pour moi. Je fais la moue en lui disant : « Je vais devoir t'inviter à mon tour pour te remercier. C’est malin ». Ce qui n'est pas forcément pour me déplaire mais ne sera pas forcément aisé : nous n'habitons surement même pas dans la même ville. Et puis c’est peut-être idiot mais je n’aime pas trop avoir ce genre de dettes. Même si ça n’est qu’un repas. Une fois nos repas prêt, je récupère le plateau en utilisant les yeux de la serveuse et me tourne pour trouver une table. J'en repère une de libre et m'y dirige précautionneusement, veillant à ne pas renverser le plateau. Une fois à la table, je pose le plateau et sourit un peu à la fois fière et soulagée. Même s'il n'y a pas réellement de gloire à utiliser les yeux des autres pour avancer. Je m'installe et lui demande : « Alors dis-moi, tu invites souvent les inconnues à manger ? ». Je souris en coin et attrape mon bagel avec précaution pour commencer à manger.

Lorsque je lui signale que s'il paye, je vais être forcée de l'inviter à nouveau, il sourit amusé et me répond sur un ton ironique qu'il croit bien que oui. Cela me tire un léger rire. Puis, je récupère le plateau et me dirige vers une table pour m'installer. Je trouve que je ne m'en sors pas si mal compte tenu de la situation. Je suis calme, j'arrive à me repérer et pour le moment, Wally ne semble se douter de rien. C'est plutôt une bonne chose. J'espère que cela va durer, mais me connaissant, je risque de faire un faux pas à un moment ou à un autre. Avec mes collègues, il y a parfois des moments assez bizarres et jusqu'à présent j'ai réussi à noyer le poisson. Mais ils finiront bien par se poser des questions si mon état devait durer. Heureusement, je n'arrive pas tous les jours avec un pull à l'envers. Une seule fois et j'ai réussi à mettre ça sur le compte de l'inattention et du manque de sommeil. Ce qui pourrait arriver à n'importe qui.

Lorsque j'attrape mon bagel tout en lui demandant s'il emmène souvent des inconnues manger, je souris un peu. Ce n'est qu'une boutade, mais c'est vrai que je suis quand même curieuse de connaître la réponse. Qui ne tarde pas à venir. Il m'annonce encore qu'il n'a pas le temps et que je suis chanceuse. Je ris un peu en disant : « Il est encore un peu tôt pour considérer que je suis chanceuse, on ne se connaît pas assez pour ça » et je lui adresse un clin d'œil amusé, un peu moqueur aussi. Mais cela reste gentil. Après tout, on ne se connaît que depuis une vingtaine de minutes et même s'il a l'air réellement gentil, les gens cachent parfois bien des choses. Bien sûr, je pourrais vérifier rapidement, mais je m'y refuse. Je préfère apprendre à connaître les gens pour ce qu'ils sont : ce qu'ils donnent à voir, ce que l'on peut percevoir malgré les apparences qu'ils laissent entrevoir. Ce qu'ils disent ou ce qu'ils font. Je pourrais fouiller son esprit à la recherche de son passé, de ses goûts ou de son caractère, mais cela ne m'apprendrait pas forcément qui il est. Il pourrait me laisser voir quelqu'un de totalement différent pour une raison que je ne pourrais pas forcément trouver facilement. Les gens sont difficiles à comprendre, même lorsqu'on peut lire en eux.

Utilisant les yeux des gens autour de moi pour bien délimiter mon bagel je mords dedans avec précaution. Je répète l'opération une seconde fois pendant qu'il me demande ce que je fais dans la vie à part du tourisme. Je finis ma bouchée, m'essuie un peu la bouche et répond : « Je travaille la plupart du temps... ». Je souris amusée tout en lui disant : « Je suis assistante sociale ». Bien sûr, je ne fais pas que cela. Je visite, je me promène. Avant je lisais ou je dessinais. Maintenant je ne peux plus le faire. Je retiens un soupir avant de demander : « Et toi ? Tu as l'air d'être vraiment très pris ? Qu'est-ce qui t'occupe à ce point ? ». Je plisse les yeux faisant mine d'être suspicieuse avec un sourire un peu amusé.  

J'ajuste chacun de mes gestes avec le plus de soin possible pour ne pas donner l'impression que quelque chose cloche. J'essaie d'être la plus naturelle possible. Je regarde dans la direction de son visage, parfois, je baisse les yeux sur mon bagel, sous je regarde ma bouteille pour l'attraper et boire. J'arrive à poser mon sandwich sans difficulté pour boire, à donner le change. Je m'en sors plutôt bien en somme. Et la conversation continue. Je lui annonce donc que je suis assistante sociale. Et lui demande ce que lui fait pour être si occupé. Après tout, ça fait déjà deux fois qu'il me dit qu'il est trop occupé pour faire les choses. Par nos voisins de table, je le vois sortir quelque chose de sa poche puis de ses papiers. Il me montre une carte. Enfin je crois que c'est une carte, ou un badge, ou quelque chose du genre. L'angle de vu que j'ai ne me permet pas de voir ce qui y est inscrit et c'est plutôt ennuyeux. Mais il commence à parler. Pendant qu'il parle, je termine mon bagel. Il m'explique donc qu'il est mécanicien pour la police. Je souris un peu impressionnée. En voilà un boulot pour le moins passionnant. Enfin, pas que la mécanique me passionne, mais travailler pour la police, ça par contre, ça doit être sympathique. A Keystone, la ville jumelée à Central city, la ville du Flash. Je souris amusée par sa référence. Alors qu'il parle, il se penche pour se rapprocher. D'instinct, je fais un peu la même chose et je tends l'oreille en terminant mon repas. Il me parle de drône. Je ne vois pas trop à quoi ça correspond à part les petits drones qu'on offre aux enfants, mais bizarrement, je doute qu'il s'agisse de cela. En tout cas, quoi que cela soit, cela a l'air de vraiment lui faire plaisir. Il considère que c'est une façon de faire des choses vraiment sérieuses. Je comprends un peu et je lui dis : « C'est tellement mieux d'avoir l'impression de faire quelque chose d'important... ». Je le regarde, enfin, je regarde dans sa direction tout en buvant un peu d'eau avant de demander : « Tu n'es jamais sur le terrain du coup ? ». Je ne le pense pas, mais on ne sait jamais. Puis je demande encore : « Et ce n'est pas trop dur ? On entend tellement de choses sur la police et les conditions de travail ». Je souris un peu. Finalement, nous terminons notre repas, et une fois finit, je propose d'y aller. J'ai hâte de pouvoir reprendre notre visite, après tout, je suis là pour ça. Alors je rassemble tout sur le plateau et le débarrasse empilant sur les autres en utilisant mon autre main pour tâtonner le plus discrètement possible avant de sortir du petit restaurant. Nous nous retrouvons à nouveau dans la rue. J'accroche les esprits des passants pour visualiser la rue et commence à avancer dans la direction dans laquelle nous allions. Tout en marchant à nouveau je demande : « Tu vis à Keystone depuis longtemps ? ». Tant qu'à faire de lui poser des questions, autant continuer non ?

J'apprends pas mal de choses. Il est plutôt bavard et visiblement apprécie grandement de parler de ce qu'il fait. Il a l'air vraiment passionné et vraiment impliqué dans son boulot. Et tel qu'il le décrit, ça a l'air plutôt passionnant. Enfin pour quelqu'un qui apprécie la mécanique. Avant de perdre la vue, j'avais déjà bien du mal à faire quelque chose de mes deux mains qui implique la construction ou la réparation... Mais alors maintenant, autant dire que c'est cuit. Il m'explique donc qu'en réalité, il n'est pas sur le terrain. Et que les rares fois où il y va, tout est déjà terminé. Il n'y va que pour les réparations ou évacuation de matériel. J'acquiesce un peu. Vu comme ça, cela semble moins effrayant. Je souris un peu alors qu'il reprend la parole. Il me dit qu'avec l'arrivée des méta-humains le travail est plus risqué. Je penche un peu la tête mais je souris et dis : « Bien sûr... On peut être alien et innocent... ». Je ris un peu et dit : « Et puis certains méta-humains semblent être des alliés, ils doivent vous aider un peu ». Ou au moins essayer. Certains réussissent mieux que d'autres. Moi, je suis un peu nulle... Mais je n'ai blessé personne, c'est déjà bien, n'est-ce pas ?

Nous finissons par sortir, avançant dans la rue dans la direction que nous suivions avant d'entrer dans le petit restaurant. J'ajuste chacun de mes mouvements par rapport aux regards des gens autour de nous, tâchant de ne pas prêter attention à leurs pensées et évitant soigneusement celui du jeune homme. Alors que nous sommes arrêtés à un feu, il me répond. Je l'écoute à nouveau et je réponds : « Je ne connais pas bien non, mais il paraît que c'est sympa comme coin oui. Peut-être que j'arriverais à visiter un jour ! ». Après tout, pourquoi pas ? Ce n'est pas si loin de chez mes parents. Alors pendant des vacances, tout semble possible. Nous traversons la route et il reprend la parole me questionnant à son tour sur mon boulot. J'imagine que c'est chacun son tour, n'est-ce pas ? Alors je réponds : « Non, je ne pense pas. J'ai commencé assez récemment mais je ne sais pas s'il y a de réelles affectations. Je pense qu'on peut bouger mais ce n'est pas quelque chose d'obligatoire. Généralement, on reçoit les gens qu'on accompagne à nos bureaux, mais dans certains cas, on peut se déplacer aux domiciles ». Même si concrètement, pour une question de sécurité, on évite de le faire ou on ne le fait pas tout seul. « On passe beaucoup de temps à aider et à conseiller les gens. On rencontre des gens qui sont vraiment fracassés parfois... Mais c'est un plaisir de pouvoir essayer de les aider, même si parfois, on ne peut pas faire grand-chose, malheureusement ». Nous ne sommes pas des magiciens... Enfin, moi si. Mais officiellement, je ne peux pas vraiment utiliser les infos que j'arrive à entrevoir dans les esprits.

On continue à avancer et à visiter une bonne partie de l'après-midi, prenant le temps de discuter et d'apprécier les choses que nous voyons. Et heureusement pour moi, j'arrive à me servir des regards des gens pour réussir à faire illusion. Il y a peut-être quelques bizarreries mais rien de très flagrant. Puis, en fin de journée, on revient vers une station de métro tranquillement. Il va être temps de nous séparer. C'est un peu triste, je dois avouer que j'ai passé une super journée.