Flash Forward Ft. Lilith

New York. La vie n’a jamais été aussi simple qu’en ce moment. On pourrait croire que tout roule pour moi : je m’en sors de mieux en mieux avec ma téléportation, je contrôle bien mieux mes capacités télépathiques maintenant que j’ai eu à les utiliser massivement pendant mes quelques semaines de cécité et je maîtrise de mieux en mieux mes capacités offensives et défensives. Après avoir retrouvé la vue en sauvant Elijaah à Central city, les choses se sont grandement améliorées pour moi : j’ai pu retrouver le contrôle de ma vie. Je me suis fait de nombreux amis ici, à New York sans pression, sans avoir besoin de me demander si quelqu’un allait finir par percer mon secret. Et j’ai retrouvé un esprit plus clair, libéré des flots de pensées des autres personnes. A nouveau fermée au monde extérieur, j’ai retrouvé un certain équilibre, et je dois dire que je m’en sens soulagée. D’autant plus que les Titans se sont agrandis. Après l’arrivée d’Elijaah j’ai eu une nouvelle vision et nous avons recruté notre nouveau membre. A deux. A deux seulement parce qu’entre notre intervention pour sauver Elijaah et ma troisième vision, Wally a disparu. Littéralement. Cela fait plusieurs semaines que nous le cherchons. Bien plus Elijaah et moi que notre nouvelle recrue qui ne le connaît pas, mais nous le cherchons. D’arrache pieds. Il n’y a pas une minute ou je ne pense pas à lui. J’en suis même arrivée à m’introduire le soir tard dans les morgues pour prendre le contrôle des légistes de garde et faire le tour des données numériques des morgues de tout le pays avec toujours la peur au ventre de le trouver sur une table. Elijaah, lui, utilise ses entrées dans la police pour tenter de le retrouver, mais rien n’y a fait. Impossible de le retrouver. Comme s’il avait disparu : littéralement. Son appartement est même resté en état. Alors malgré ma vue retrouvée et ma vie bien plus simple qu’elle ne l’a été pendant ma période de cécité, mon cœur est lourd. Lourd et rongé par l’inquiétude.

19 heures. Je suis sortie tôt du boulot aujourd'hui, je voulais passer jeter un œil dans certains journaux pour regarder les rubriques des personnes disparues et retrouvées avant de rentrer chez moi, les bras ballants, comme d'habitude. Je crois que la seule chose qui m'ait réellement permis de tenir debout - à part mon boulot - c'est de continuer à constituer l'équipe. De me constituer une famille, des gens comme moi, capables de me comprendre, de m'aider autant que je pourrais le faire pour eux. Et je dois dire, que cela m'a permis de me vider la tête bien plus d'une fois. Heureusement d'ailleurs. Il est assez difficile à dire pour moi pourquoi la disparition de Wally m'a autant touchée. Nous ne nous connaissions que peu, au final. Mais je ressentais toujours quelque chose de très agréable lorsque nous étions ensemble : un mélange d'apaisement, de confiance et de sécurité. Et aussi d'excitation, surement tirée de lui et de sa super vitesse. On frappe à la porte. Alors je vais voir qui est derrière. La voix que j'entends me tire de mes pensées. Je suis persuadée d'avoir rêvé. Au point que je m'apprête à retourner dans mon salon, pensant que personne n'est là que c'était juste une hallucination.

Mais dans un doute, j'ouvre la porte. Wallace. Il est là. Il se tient là, avec un sourire malicieux sur les lèvres très fier d'avoir fait une plaisanterie sur sa soudaine ponctualité. Oui, c'est bien ce que j'ai entendu. Il est là mais... quelque chose cloche. Je le remarque tout de suite. Il est différent. Et cela n'a pas l'air bon signe. Il y a une cicatrice sur son visage qui n'était pas là avant. Et une barbe de quelques jours. Cela change son visage. Et une lueur étrange au fond de son regard. Je ne suis même pas convaincue qu'il s'en rende compte lui-même. Finalement, je sors de ma catatonie pour m'approche de lui et le pousser : « Bon sang ! Mais où est-ce que tu étais passé ?! ». Je le pousse à nouveau avant de lui frapper le torse, poing fermé. « Tu trouves ça drôle ? De débarquer après plusieurs semaines sans donner aucune nouvelle en blaguant sur la ponctualité ? ». Je lui jette un regard mauvais et je dis : « Pas moi... ». Je croise les bras. Je suis sur le pas de ma porte et il n'entrera pas tant qu'il ne m'aura pas répondu. J'ai beau être soulagée qu'il aille bien, je suis en colère aussi. Et inquiète. Je ressens trop de choses, trop vivement. Et je n'arrive pas à me calmer. La dernière fois que je me suis sentie comme ça, j'ai failli rayer deux cerveaux de la carte. C'est dangereux mais rien n'y fait. En plus, je m'en fiche. Je suis trop en colère.

Il n'a pas l'air de comprendre de quoi je parle, ce qui m'énerve encore plus. J'ai juste envie de l'attraper et de le secouer. Il est sérieux là ? Il se moque vraiment de moi ? Mais bon sang, ça n'a rien de drôle. Et c'est quoi cette cicatrice ? Lorsqu'il reprend la parole pour me demander ce que je raconte, je roule des yeux. Je m'apprête à lui répondre mais déjà il n'est plus devant moi. Dans un éclair qui m'a semblé lui aussi différent de ce que j'avais déjà vu après avoir retrouvé la vue à Central City, le voilà entré chez moi. Je roule des yeux en disant : « Eh bien oui, en plus laisse-moi parler dans le vide ! ». Je me tourne comme une furie. Dans le mouvement, une onde mentale pulse autour de moi. Heureusement, elle n'est pas violente et ne le touche pas. Je m'arrête et me force à respirer quelques instants avant de rentrer chez moi en claquant la porte. Puisqu'il s'est invité, ce n'est plus la peine de la laisser ouverte. Le geste me permet d'évacuer une partie de la pression et de ma colère.

Il est devant mon journal, celui du jour et le regard interdit. Lorsqu'il se tourne vers pour moi pour parler à nouveau, je vois bien qu'il ne joue pas. Il a peur. Cela se ressent dans sa voix, dans son regard. Alors je me calme. Il semble vraiment ne pas comprendre de quoi je parle et ce qu'il lui arrive. Il ne se rend pas compte et n'est pas en mesure de l'expliquer. Je penche un peu la tête et je lui montre le canapé : « Installe toi Wally... ». Je m'approche de ma table basse pour prendre mon portable et envoyer un message à Elijaah pour lui dire que Wally est avec moi puis je vais jusqu'à ma cuisine ouverte pour en revenir avec deux bières décapsulées. J'en pose une devant lui et je lui dis : « Tu as disparu pendant plusieurs semaines Wallace. Impossible de savoir où tu étais, plus aucun signe de toi... On est vraiment le 6 février, je t'assure... ». Je grimace un peu en le regardant puis je demande : « Tu ne te souviens vraiment de rien ? ». Je m'installe en face de lui, sur la table basse, après l'avoir un peu poussée pour faire un peu d'espace entre nous et je me penche pour glisser mon index sur sa nouvelle cicatrice : « Comment t'es-tu fait cette cicatrice ? ». Je le regarde inquiète à nouveau. J'espère au moins qu'il va bien, qu'il n'aura pas de problème de santé ou quelque chose du genre. Et qu'on pourra comprendre ce qui arrive.

Assise sur la table basse, juste devant lui, il n'y a qu'une trentaine de centimètres qui séparent nos genoux. Cette proximité ne me dérange pas plus que ça. Mais je m'y attendais. Même quand j'étais aveugle, à notre rencontre, j'avais eu un bon feeling avec lui. Comme une sensation de sécurité, avec son agréable gaieté et son humour plutôt amusant. Il me faut bien l'avouer, malgré le fait que nous ne connaissions pas depuis longtemps et pas très bien, il a laissé un vide. Probablement parce que j'aime aider les gens et que je m'inquiète beaucoup pour eux par nature. Alors cette disparition complète m'a forcément fait peur. Je l'imaginais mort, quelque part au fond d'une rivière. Sans vraiment comprendre comment ou pourquoi. Je ne pouvais pas envisager qu'il était encore vivant : pourquoi aurait-il disparu alors que nous commencions à bâtir quelque chose d'aussi cool ? Il aurait prévenu. Ou je l'aurais vu. Difficile à dire. L'absence de vision m'a perturbé. Je pensais qu'avec un tel lien, je pourrais percevoir des choses, mais rien.

Il me répond qu'il n'a rien fait, qu'il pensait qu'il ne s'était passé qu'une journée. Une seule journée. Je grimace. Il s'est passé plus de deux mois... Et lui ne pensait avoir perdu qu'une journée. Pouvoir arriver au rancard que nous nous étions fixé la veille comme ça. Mais la veille remonte à plusieurs semaines pour moi. Et je me demande ce qu'il a pu faire pour disparaître. Qui a pu lui faire cette cicatrice ? La barbe de quelques jours montre bien qu'il n'était pas figé dans le temps, quelque part. Il a continué à évoluer, à vivre. Je le détaille pendant qu'il s'observe sur son téléphone pour découvrir la cicatrice. Je ne dis rien. Il ne se souvient pas à l'évidence. Peut-être sa mémoire est-elle bloquée ? Il reprend la parole. Je m'apprête à lui proposer d'entrer dans sa tête quand je m'arrête et je demande : « Flash museum ? ». Je penche la tête et je lui dis : « A Central ? ». Avec sa vitesse, il pourrait aller sur la côte est et revenir se coucher une heure plus tard. Je lui dis : « Il n'y a pas de musée sur Flash à Central Wally... ». Je fronce les sourcils et je demande : « Est-ce que je peux essayer de voir si ta mémoire est bloquée ou entravée par quelque chose ? ». Peut-être a-t-il croisé un téléphate ou un psychique qui lui a entravé ses souvenirs pour l'empêcher de le retrouver ou quelque chose du genre. Je ne sais pas trop.

Tout ça, c'est vraiment étrange. J'étais tellement inquiète pour lui, cette disparition ça ne lui ressemblait pas. Et en même temps je n'en étais pas sûre : après tout, je ne le connaissais pas si bien que ça. A peine quelques semaines de messages échangés après notre première rencontre, quelques semaines de plus après notre vraie rencontre, à visages découverts. Et deux de plus seulement avant sa disparition. Enfin, je ne peux que le supposer : il n'a plus répondu à ses messages. Soit environ deux mois seulement. C'est bien maigre pour dire que je le connaissais. Peut-être était-ce donc son genre, non ? De disparaître. Je ne peux pas en être certaine. Mon instinct me dit que ce ne l'était pas. Qu'il semblait plutôt loyal et stable, fiable. Après tout, son travail au sein de la police semblait aussi l'attester, n'est-ce pas ? Je retiens mon soupire et reste là, à le regarder s'embrouiller dans ses pensées, dans ses explications. Il me parle d'un quartier encore en construction et d'une station de tram qui n'existe pas encore. Effectivement, il y en aura probablement une un jour, mais pour l'heure. Alors je lui dis : « Le centre n'est même pas encore terminé... Il n'y a pas encore de transports en commun dans ce quartier Wallace, je t'assure. La construction a commencé il y a à peine quelques mois... C'est toi qui me l'a dit, la dernière fois que je suis venue à Central et que nous sommes passés devant... Ce dont tu me parles n’existe pas… enfin pas encore… ». Juste après que nous ayons sauvé Elijaah alors qu'il me raccompagnait à l'aéroport. N'étant pas encore très prompte à la téléportation, l'avion est le transport en commun le plus rapide qui soit à ma disposition. Je ne suis malheureusement pas aussi rapide que lui.

Ce que je ne comprends pas, c'est ce qu'il me dit. Enfin... Ce quartier n'est pas terminé, pourtant il semble le décrire comme tel. Plus encore, il me parle de quelque chose qui n'existe pas, qui n'est même pas encore en projet à ce jour pour autant que j'en sache. C'est intriguant. Qu'est-ce qu'il a pu voir ou faire pendant sa disparition ? Peut-être a-t-il été sous l'influence d'une drogue ? Ou dans une sorte d'illusion ? Ou peut-être s'est-il retrouvé dans une réalité alternative ? Est-ce vraiment possible ? Certains semblent penser que oui. Et vu tout ce que nous avons découvert sur la vie dans l'espace, j'aurais tendance à le croire. Je lui propose donc d'entrer dans son esprit. Il accepte me demandant s'il faut qu'il se calme. J'acquiesce. Effectivement. Il peut se calmer, cela m'aidera à faire le tri dans son esprit. Après tout, il me l'a dit lui-même : même son esprit va plus vite. J'aurais besoin d'un minimum de calme pour pouvoir faire le tri. Mais dans les faits, pour une personne normale, je n'ai pas tellement besoin de calme. J'entre dans sa tête aussi facilement que dans une pièce ouverte. Le calme que je lui avais demandé était surtout pour qu'il entre dans mon esprit, pour les lier ensemble. Ce n'est pas ce que je vais faire là. Mais du calme pour réussir à me glisser dans ses pensées et à ne pas m'y perdre. Une fois qu'il est calme, je me glisse dans son esprit aussi légèrement que possible. Je l'y retrouve, dans son salon, calme, simplement là à passer le temps. Un sourire s'étale sur mes lèvres à retrouver cet endroit, même si ce n'est qu'une illusion. Je prends le temps de faire le tour de cette pièce qu'il a construite mentalement puis je sors de ce calme pour essayer de trouver le chemin de ses souvenirs. Une fois sorti, je me retrouve dans un chaos. Je fronce les sourcils et j'essaie de m'y retrouver mais être dans son esprit - être vraiment dans son esprit, pas juste à l'orée de celui-ci pour lui parler - c'est comme être en pleine zone de combat. J'ai l'impression que chaque souvenir est une balle lancée à pleine vélocité. Certains sont tellement énormes que quand ils me heurtent, il me donne l'impression d'être passée sous un obus. Je peine à m'y retrouver. Je vois des images de son boulot, de son passé. Je perçois tellement de passion et de sentiments positifs, que ça ne fait que confirmer ce que je pensais. Finalement, je retrouve le chemin de notre dernier souvenir commun : une série de message pour nous donner rendez-vous ici, à New York. Trouver la suite est assez difficile. Tout est flou. Il y a bien quelque chose mais cela va tellement vite que je ne peux pas le percevoir. Tout ce que je vois c'est une course. Une course si rapide, tellement rapide.

Et soudainement je suis éjectée de son esprit, comme projetée par la collision entre mon esprit et le souvenir de cette course. Et tout ce que je vois sur cela est un éclair. Mais... Il est différent. Il n'est pas comme celui que j'ai déjà pu voir, que j'ai vu dans ses autres souvenirs. Je me redresse un peu en grimaçant. Je porte mes mains à mes tempes et je dis : « Ok... Toi et moi on va faire un marché. Tu vas te tenir tranquille pendant les dix prochaines années, je n'ai plus besoin d'essayer de faire ça... ». Je grimace et je me relève. J'ai besoin d'une aspirine. Je vais jusqu'à ma salle de bain et attrape un flacon pour en sortir une pilule blanche avant de revenir. Je la gobe et la fait passer avec une gorgée de bière. Médicaments et alcool. Ma mère serait outrée à la simple idée de me savoir en train de faire ça. Mais soit. « Il y a bien quelque chose mais pour le moment c'est inaccessible... J'imagine que c'est pour ça que tu ne te souviens de rien. Mais il y a des souvenirs. Peut-être finiront-ils par revenir... En tout cas, je ne crois pas que quelqu'un ait altéré ta mémoire... ». Je me réinstalle sur la table basse devant lui et je lui dis : « Il y a quand même quelque chose qui m'a paru étrange... Dans les souvenirs passés que j'ai entrevu, tu étais entouré d'un halo lumineux jaune avant de commencer à courir... Le dernier que j'ai vu était... Bien plus clair ». Je ne sais pas si c'est important, mais c'est la seule chose que j'ai réellement pu percevoir. Alors, autant le lui dire. Il en sait bien plus que moi sur ses pouvoirs, il saura peut-être l'interpréter.

C'est le chaos dans son esprit autant que dans le mien à présent. Il me faut un peu de temps pour réussir à retrouver le calme. Heureusement, je n'ai prêté attention qu'à ce qui m'intéressait le plus au milieu des centaines d'idées se bousculant dans son esprit. Une centaine, remplacée par une autre, puis par une autre. Et cela pourrait être ordonné et clair, comme une suite de donnée informatique savamment triée et organisée pour que les programmes puissent fonctionner. Mais non. C'est un vaste champ de bataille et chaque idée défie les autres pour s'imposer. Je lui demande de se tenir tranquille pour les dix prochaines années et lui me répond que s'il le pouvait, il le ferait. Je roule des yeux. Mon crâne est en feu. C'est donc pour ça que je vais chercher une aspirine. Je reviens vers lui en lui parlant de ce que j'ai perçu et je me réinstalle sur ma table basse. Je ne suis pas lourde mais je salue la robustesse du meuble qui n'est pas censé servir de chaise. Je termine mes idées puis je bois une gorgée de bière. Il trouve ça bizarre. J'imagine qu'il parle du fait que ses souvenirs soient inaccessibles. Et oui, ça l'est. C'est vraiment étrange, je n'avais jamais vu ça. Et pourtant, j'en ai sondé des esprits, particulièrement pendant ma période de cécité. Je n'ai jamais autant apprécié de pouvoir voir. Ma vie est à nouveau si simple, si aisée. Si agréable. Mais avoir réussi à survivre aussi longtemps m'a aussi permis de me découvrir de nouveaux talents et une force que je ne pensais pas avoir. Alors dans le fond, ce n'était pas si mal. Je m'en suis bien sortie.

Il m'explique ensuite que la couleur est liée à sa compatibilité avec la speedforce. Je fronce un peu les sourcils, pas sûre de bien comprendre ce qu'il me dit. Mais soit. J'imagine que cela doit être en lien avec l'énergie générée par sa super vitesse. Quelque chose du genre. Et selon lui, il n'en est pas encore à ce niveau. Je penche un peu la tête en le regardant. S'il n'en est pas capable alors qu'est-ce que j'ai vu ? Je le regarde toujours. Mais je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu'un éclair très particulier passe dans ses yeux. Un éclair de compréhension. Il se lève, et recule de quelques pas. L'air change. Il devient plus grave. Il recule encore jusqu'à rencontre le mur alors qu'il continue à parler. Il semble presque effrayé à présent. Je me lève et lorsqu'il relève son regard me cherchant, je suis déjà devant lui, m'accroupissant. Il vient de me dire qu'il revient du futur. Il vient de passer deux mois dans le futur. Et je devrais probablement être bien plus excitée que cela, mais... mais quelque chose me dit que ce n'est pas une bonne chose. J'ai lu beaucoup de livres et vu beaucoup de série et si je me doute que beaucoup de choses sont inventées, l'idée de base reste plutôt vraie : le temps est une chose délicate qu'il vaut mieux ne pas toucher. Et cela semble vraiment l'effrayer. Comme une réaction viscérale, instinctive ce qui la rend encore plus inquiétante. Je pose ma main sur son bras et connecte nos esprits pour essayer de l'apaiser, de lui communiquer un peu de calme et de sérénité. Je n'entre pas dans son esprit et tâche de rester sourde à ce qui s'y trame. Je me contente de lui envoyer des émotions. Du calme. Beaucoup de calme.

Jusqu'à ce qu'il retrouve finalement assez de calme pour que son souffle s'apaise. Je rompt le lien retrouvant le silence et le calme de mon esprit tranquille, sans prêter attention à la migraine qui y tourne puis je lui dis : « Ok... Cela explique pourquoi tu parles de bâtiments qui n'existent pas. Parce qu'ils n'existent pas encore... ». Et effectivement, les travaux sont en cours, à peine entamés. Autant dire qu'il faudra du temps avant que tout ne soit terminé. Mais cela semble cohérent : il y aura bien quelque chose. Et lui a vu ce que cela sera. Je souris un peu et je lui dis : « C'est surement pour ça que ton esprit est bloqué... Revenir du futur ça ne doit pas être anodin. Tes souvenirs devraient revenir au fur et à mesure ». Enfin je l'espère. Je l'aide à se relever pour le ramener dans le canapé et je vais à ma cuisine. Je reviens avec un plateau de cookie. Je sais qu'il mange beaucoup car il consomme naturellement plus d'énergie que la normale. J'ai pris cette habitude de faire des cookies même si on ne se voit pas souvent. Et depuis sa disparition j'ai continué d'en faire, les laissant sur la table, espérant qu'un jour ils ne seraient plus là. Un peu comme une enfant laissant un gâteau et du lait pour le père noël. Mais il n'est jamais passé en prendre. Il était trop occupé dans le futur. Je pose l'assiette sur la table basse et m'assoit dans le canapé, à côté de lui en disant : « A mon avis... Tu devrais essayer de te détendre et ne pas te forcer à te souvenir. Plus tu essaieras, plus ça risque d'être dur. C'est comme quand tu as une idée sur le bout de la langue. Impossible de remettre la main dessus quand tu cherches, mais ça finit toujours par revenir plus tard, quand tu penses à autre chose... ».  Je souris un peu et me tourne un peu vers lui, pliant une jambe sous moi, sur l'assise du canapé. Et puis, autant que possible, j'aimerais éviter qu'il ne fasse un autre bond temporel.

Le voilà assis et posé. Il mange les cookies. C'est plutôt bon signe. Il reste calme et se contente de manger pendant que je lui parle du fonctionnement de la mémoire. Après tout, c'est assez connu, plus l'on cherche à se rappeler quelque chose, moins on y arrive. Autant essayer de penser à autre chose. Il me répond qu'il n'aime déjà pas ça en temps normal. J'imagine qu'il doit être vraiment frustré. C'est assez  « Ça reviendra Wally, soit patient... ». Je lui souris avec beaucoup de douceur et de calme. Si moi je cède à la panique ou à l'agacement, il ne pourra pas forcément s'apaiser comme je le souhaiterais. Autant prendre le temps. Je ne pense pas qu'il y ait d'urgence. Il a l'air d'aller bien, physiquement. Il ne s'était même pas rendu compte de sa disparition. Alors, j'imagine qu'il doit aller bien. Il repose le plateau sur ma table basse et s'appuie dans le fond du canapé. En baissant ses mains, sa main se pose sur mes genoux. Je baisse les yeux sur celle-ci, en souriant un peu amusée d'autant plus face à sa réaction qui montre sa gêne évidente. Je ne crois pas que cela soit volontaire. Si ça avait été le cas, peut-être aurais-je eu un mouvement de recul. Peut-être aurais-je été gênée. Mais je ne le suis pas. C'est troublant, je l'avoue. Mais il m'a manqué. J'ai été tellement inquiète. Je suis vraiment heureuse de pouvoir le retrouver, le toucher. Lui parler. Une fois la gêne passée, il se tourne vers moi, me regardant droit dans les yeux. Il reprend la parole et je l'écoute avec attention. Il me parle d'une date. D'un nom et d'un endroit. Une tour en forme de T. T pour Titans ? C'est le nom de notre équipe... Et s'il était là-bas, c'est peut-être pour une raison bien particulière. Une date. Et un prénom. Kelsey. J'aime beaucoup ce prénom. Je crois l'avoir toujours aimé. Mais ... je ne connais personne de ce nom. Enfin, pas que je sache. « J'adore ce prénom... Mais ça ne me dit rien, non. Je n'en connais pas... ». Je souris un peu et je dis : « Quant à la tour en T... Peut-être que c'est une sorte de base ? Après tout... On s'appelle les Titans, non ? ». C'est tout ce que cela m'inspire. Là, maintenant, j'avoue que c'est assez mince comme informations. Je ne vois pas trop ce qu'on peut tirer de tout ça. Il nous faudrait plus d'images, plus de souvenirs. Je ne doute pas qu'il en aura. Je réponds à ses dernières questions : « Je pense qu'ils reviendront par eux-mêmes... Et quand ils seront revenus, je devrais pouvoir les voir. Mais je ne veux rien forcer pour le moment. Je pourrais les effacer sans le vouloir... ». Je reste convaincue qu'il ne doit rien forcer et qu'il doit simplement essayer de se détendre, de penser à autre chose. De retrouver sa réalité. Je me redresse un peu pour l'étreindre. Avec tout ça, je me rends compte que je me suis contentée de lui crier dessus. Mais là, à le voir comme ça, se débattre avec ses angoisses et sa frustration, je me rends compte que je n'ai surement pas aidé. Je lui fais un câlin et lui dis : « Je suis contente que tu sois revenu... ». Je le serre plus fort que je ne le voudrais et je dis : « J'étais tellement inquiète... ». Je grimace et je le relâche finalement avant de le regarder un long moment. Et c'est là que ça me frappe : il a disparu pendant plusieurs semaines. Pour nous comme pour les autres. Comme ses employeurs par exemple... Je reste interdite un moment et je demande : « Qu'est-ce que tu vas dire à ton boulot ? ».  Je peux peut-être l’aider un peu en effaçant quelques souvenirs, mais il y a beaucoup de risques. Je ne suis pas sûre d’en être vraiment capable sans massacrer le cerveau de ses collègues. Si on peut trouver une autre solution, je préfèrerais.

Je ne peux que comprendre la frustration qu'il ressent. Mais en même temps, ce n'est pas réellement comme s'il avait le choix. Tout cela dépasse largement notre entendement. J'imagine qu'il avait pu envisager cette possibilité, que peut-être il avait entendu parler de cela par Flash, mais difficile d'en être certaine. Ce voyage dans le futur nous laisse un peu stupéfait, sidéré. Et son esprit, son corps ont besoin de se remettre. Et même lui qui pourtant se régénère bien plus vite qu'un humain normal doit prendre le temps. On ne joue pas avec l'esprit, cela peut avoir de lourde conséquence, je suis bien placée pour le savoir. Privée de l'un de mes sens pendant plusieurs semaines à cause d'une attaque mentale, je préfère autant éviter d'aller trop loin dans les manipulations que je pourrais faire sur l'esprit de Wally. Et lui ne devrait pas trop forcer ses souvenirs. Après tout, il y a peut-être un risque pour que les souvenirs ne disparaissent s'ils ne sont pas bien ancrés dans sa mémoire. La mémoire... un vaste labyrinthe si tortueux, si complexe qu'il faut avancer avec précaution lorsqu'il s'agit d'elle. Je l'étreins en lui confiant que je suis contente de le voir de retour et que j'étais inquiète et lui me répond. J'hausse un peu les épaules en le relâchant, l'air de rien. En même temps, il n'y pouvait pas grand-chose, à l'évidence. Et alors que je le questionne sur son boulot, c'est une autre idée qui le traverse. Iris, sa tante. Je le regarde et subitement il a disparu. Je secoue un peu la tête et me laisse tomber dans mon canapé songeuse. Je suis soulagée de le savoir ici. En bonne santé.

Plusieurs heures s'écoulent sans nouvelle. En même temps, il doit avoir des tas de choses à faire et cela ne me dérange pas plus que cela. J'ai commencé par cuisiner, affamée par ce bouleversement. Puis, j'ai mangé, préparé mes affaires pour le lendemain, jeté un œil à un épisode d'une série un peu idiote sans vraiment y prêter attention, encore un peu songeuse. Finalement, j'ai ouvert mon pc portable, pour bosser sur quelques dossiers pour avancer un peu ma journée de demain, bien consciente que je ne serais pas aussi productive que je ne le voudrais. C'est le son de sa voix qui me sort de mes pensées. Je sursaute un peu et me redresse en sauvegardant mes fichiers avant de poser mon pc sur la table basse. Ce qu'il me dit m'alerte. Je me redresse et le regarde. Il a l'air plus sombre, plus triste. Je laisse traîner mon esprit dans les résidus de ses pensées qui restent autour de lui et n'y trouve que découragement et désillusion. Je fronce les sourcils. Lorsqu'il enflamme son costume, je sursaute et essaie de l'empêcher de le jeter mais je n'y arrive pas. Il se tourne vers moi. Je suis frappée par la tristesse dans son regard. Je penche un peu la tête et je dis : « Ne dis pas n'importe quoi Wally... ». Moi, je suis sûre de moi. Je suis sûre de ce que j'ai vu. Et surtout, je suis sûre de ce que j'ai devant les yeux. Je souris un peu et je lui dis : « Quoi que tu penses avoir vu, je pense qu'il y a des explications et qu'on peut comprendre tout ça ensemble... ». Je le regarde toujours. Finalement, je lui dis : « Raconte-moi ». Je n'ai pas tellement envie d'aller chercher les infos dans son esprit, c'est tout douloureux pour moi. Maintenant qu'il y voit plus clair, qu'il semble se souvenir, il doit pouvoir m'expliquer. J’ai besoin de comprendre, de démêler tout ce qui lui passer par la tête avant de le perdre totalement. Etrangement, la panique s’insinue un peu en moi. Qu’est-ce qu’il a vu ? Qu’est-ce qu’il a vécu là-bas ?

Il semble hésiter à me répondre lorsque je lui demande de me dire ce qu'il a vu. Ce qu'il a vécu aussi probablement. Difficile de me projeter clairement dans tout cela : était-il dans son corps du futur ou était-il là comme un double ? Je ne sais pas très bien. J'imagine que j'en saurais plus s'il souhaite me répondre, mais c'est difficile de choisir. Doit-il parler ou pas ? J'imagine que cela pourrait changer des choses. On peut perturber le cours des choses si on change nos choix ou nos voies. Mais en même temps cela semble moins délicat que si nous étions remonté dans le passé et que nous avions changé des choses. On ne perturbera pas le cours du présent, seulement celui de l'avenir, non ? Je plisse un peu les yeux, perdue dans mes propres pensées lorsqu'il reprend la parole. Dix ans. Ce n'est pas si loin. Ou peut-être. Il reprend la parole alors je l'écoute avec une certaine curiosité. Je penche la tête. Comment ça pas tout seul ? Bien sûr, j'attends simplement. Il s'avance vers un meuble, s'y appuie, se penche, regarde le sol, pleure. Cela le chamboule. Nul besoin de télépathie pour le voir. Brûler son costume. Semble si perdu, tâtonner pour parler, pour expliquer, chercher ses mots, chercher comment présenter les choses. Mais quelles choses ? De bonnes ? A l'évidence non. Impossible.

Pourtant, ce qu'il dit le semble. Une fille. Une enfant. La sienne. Je penche la tête et fronce le nez. Il relève le regard sur moi en me parlant d'elle. Il s'assoit contre le meuble. Le reste est plus nuancé. Une mère décédée. L'espace d'un instant, mon cœur se serre. J'ai du mal à saisir pourquoi mais l'imaginer avec une autre fille me chagrine un peu. Une enfant ressemblant comme deux gouttes d'eau à sa mère décédée. Et une question. Je ne souhaite pas réellement lui expliquer comment on fait les enfants. Je ne suis pas réellement sûre de comprendre le sens de sa question. Alors je garde le silence lui adressant une légère moue. Moi qui ai toujours un avis sur les choses. Mon silence est étonnant. Il reprend la parole pour me parler de l'enfant, de ses similitudes avec sa mère. La gentillesse, le visage, les yeux... Il relève son regard sur moi et la suite me fige. Littéralement. « C’est ta fille aussi. ». Il laisse tomber sa tête dans ses bras. J'encaisse l'information difficilement. J'aurais une fille. Je ne serais pas là pour la voir grandir. Dans dix ans, je serais morte. Avant cela même, probablement. Cela semble ne me laisser que quelques années à vivre. Cinq au mieux. Peut-être moins. Une fille. La mort. Un futur en demi-teinte. Ne pas pouvoir élever sa propre fille. La troisième information me parvient soudainement. Nous sommes les deux parents de cette enfant. Et l'espace d'un instant, mon cœur se desserre. Pas d'autre femme. Bon sang, Lilith ! Pourquoi est-ce cette pensée-là qui s'impose à moi et cette étrange satisfaction qui m'envahit. Impossible à dire.

Je m'approche de lui et m'accroupit devant lui. Je pose ma main sur sa joue pour lui relever le visage plongeant mon regard dans le sien disant simplement : « Laisse-moi voir ». Sans plus attendre je plonge dans le chaos. Je n'ai pas peur de ce que je vais voir. Je n'ai pas peur de ce bruit ambiant, de tous ces souvenirs, de toute cette vitesse. Je me moque de souffrir. Je veux simplement voir. Je me concentre sur ce qu'il a dit : je remonte sa dernière phrase et accroche les souvenirs générés par ses mots. Un principe simple dans un esprit humain : une parole fait remonter un souvenir, il ne reste alors qu'à remonter la chaîne jusqu'à la voir. C'est jolie petite rousse aux yeux noisettes, aux tâches de rousseurs parsèment son visage. Cette petite speedster malicieuse et énergique. Toujours plus d'énergie. Kelsey. Je le vois avec elle. Enfin... Je vois à travers ses yeux un autre Wally. Un Wally qui semble affectueux et tendre envers cette fillette mais... Cette aura qu'il dégage est chargée d'une telle colère, d'une telle douleur. Lorsque je sors de son esprit, finalement, je le regarde. Sans savoir quoi dire. A mi-chemin entre l'émerveillement et l'horreur. Entre la joie et la tristesse. Dans une espèce de milieu qui pourrait s'apparenter à des limbes. Neutre et pourtant si chaotique. Il me faut quelques instants pour que mon cœur s'apaise, alors que je retrouver le calme de mon propre esprit. Finalement, je lui demande : « Est-ce que tu sais ce qu’il s’est passé exactement ? ». Evidemment, dur de ne pas comprendre que je veux savoir comment je suis morte. Puis finalement, je reprends la parole pour demander : « Pourquoi as-tu brûlé ton costume ? ». Qu’a-t-il vu qui le fasse changer d’avis à ce point ? Je retire ma main de sa joue, et sans le contact chaud de sa peau, j’ai l’impression d’avoir froid. Peu importe. Je reste accroupie devant lui, regard rivé au sien attendant qu’il me réponde.